Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

24/12/2015

Divna Ljubojević - Agni Partene

15/12/2015

L'implicite « bombardement idéologique télévisé » (2/2)

PPP-696x393.jpgNotre cher Pier Paolo Pasolini écrit, quant à lui, dans ses Écrits corsaires il y a quarante-cinq ans : « Le bombardement idéologique télévisé n'est pas explicite : il est tout entier dans les choses, tout indirect. Mais jamais un « modèle de vie » n'a vu sa propagande faite avec autant d'efficacité qu'à travers la télévision. Le type d'homme ou de femme qui compte, qui est moderne, qu'il faut imiter et réaliser, n'est pas décrit ou analysé : il est représenté ! Le langage de la télévision est par nature le langage physico-mimique, le langage du comportement ; qui est donc entièrement miné, sans médiation, dans la réalité, par le langage physico-mimique et par celui du comportement : les héros de la propagande télévisée – jeunes gens sur des motos, jeunes filles à dentifrices – prolifèrent en millions de héros analogues dans la réalité. C'est justement parce qu'elle est purement pragmatique que la propagande télévisée représente le moment d'indifférentisme de la nouvelle idéologie hédoniste de la consommation et qu'elle est donc très efficace. » Nous pouvons, en passant, comparer les consommateurs hédonistes aux libéraux libertaires dès lors que le permissif libertaire devient un excellent faire-valoir du consumérisme donc du néolibéralisme marchand.
D’ailleurs, les propos suivants de Pasolini, concernant son pays l’Italie, peuvent nous éclairer sur les « révolutions » se rapportant aux émeutes françaises de 1968 et même, pour prendre un autre exemple francophone, à la Révolution tranquille québécoise (années 1960). Notre auteur et réalisateur né à Bologne distingue alors deux révolutions imbriquées, ayant « pris place à l'intérieur de l'organisation bourgeoise », à savoir :
– « la révolution des infrastructures ». Ainsi : « Les routes, la motorisation, ont désormais uni les banlieues au centre [du pays], en abolissant toute distance matérielle ; »
– « la révolution des mass media » (donc des médias de grande audience) « plus radicale et décisive » que la précédente dont pourtant elle dépend. Car la première a renforcé le centre du pays. Par la deuxième ensuite, le centre s’est « assimilé tout le pays ».
Par cette double révolution débouchant sur une concentration nationale des pouvoirs économiques, médiatiques et politiques, « une grande œuvre de normalisation parfaitement authentique et réelle est commencée et elle a imposé […] des modèles voulus par la nouvelle classe industrielle, qui ne se contente plus d’un « homme qui consomme » mais qui prétend par surcroît que d’autres idéologies que celle de la consommation sont inadmissibles ».
D’où ma défense d’un confédéralisme réel, ou fédéralisme décentralisateur, remettant en cause les précédents phénomènes de concentration et de standardisation culturelle au profit des démocraties et coutumes locales, plus globalement de la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes.

Une dernière remarque, ceci dit, concernant la télévision. Il ne s’agit pas non plus de noircir le tableau concernant son existence. Même s’il est bien rare que je regarde la télé, je sais qu’il existe des chaînes thématiques intéressantes, comme sur l’histoire ou la géographie.
Quant à la modernisation de la télé au sens technique, je visionnais, l’autre jour, sur le site internet de l’Institut national des archives, une vidéo sur l’activité du Mastrou, nom du train assurant des voyages historiques ardéchois situé sur la ligne Tournon-Lamastre. Ce train existe toujours mais la vidéo en question datait, en l’occurrence, des années 1960 et était en noir et blanc. Certes, je ne peux naturellement être nostalgique de cette bichromie puisque je suis d’une génération ayant directement connu la télé en couleur (même si, jusqu’à mes dix ans, l’un des deux téléviseurs de mes parents était en noir et blanc) ; mais, tandis que cette vidéo montre des plans des paysages de la nature ardéchoise, je me suis fait tout simplement remarquer que la couleur permettait quand même de mieux apprécier ces derniers.
Au passage, ce genre de site internet est intéressant dans la mesure où il permet de revisiter le passé, par des archives télé et radio. Comme quoi, nous pouvons nous servir de la modernité technique (en l’occurrence, Internet) pour de belles raisons ; en l’occurrence, pour découvrir l’histoire. Louison Chimel, Les Cahiers d'un Anarchiste conservateur

10/12/2015

L'implicite « bombardement idéologique télévisé » (1/2)

cerveau.jpgNous pouvons être indirectement concernés par une forme de maltraitance. Mais « indirectement » sous-entend que nous n’en sommes pas conscients, tels les individus enchaînés dans la caverne de Platon. D’où le mythe philosophique de la caverne auquel je consacre une partie dans L’Anarque.
Par rapport au mot « canal », le mot « chaîne », employé pour parler de chaîne de télé, est plus intéressant. Car, par définition, une chaîne peut nous enchaîner…
Étant donnée la place très importante qu’occupe la télévision dans le quotidien des individus issus des classes populaires des pays riches (neuf ans en moyenne sur toute une vie pour un individu), il va de soi que, selon les pouvoirs économiques et politiques arrosant les médias principaux, elle ne doit pas être un instrument de prise de conscience des abus de pouvoir.
À partir de là, la télé – qui est, pour Pier Paolo Pasolini, « autoritaire et répressive comme jamais aucun moyen d’information au monde ne l’a été » (Écrits corsaires) – doit seulement divertir le quidam – restant ignare et non averti –, et le divertissement doit être conçu d’abord par nos élites ploutocratiques puis par les peuples qu’ils manipulent – en nette opposition à toute forme d’intelligence puisque icelle est matière à faire éclore le sens critique. En outre, la télévision – par la place croissante qu’y occupe la publicité – est un moyen majeur d’asservissement des peuples à la pratique de la consommation.
Plus la télévision occupe l’individu, plus elle doit donc proposer des programmes intellectuellement et moralement neutres – voire tout simplement vides – entrecoupés d’écrans publicitaires se répétant en grande quantité (multiplication par 70 de la présence de ces derniers depuis 1970).
Pier Paolo Pasolini écrit, dans ses Écrits corsaires – sortis en 1976 ! –, qu’il ne peut « plus fixer » son « regard, plus de quelques instants, sur un écran de télévision ». « C’est physique », ajoute-t-il, ceci lui « donne la nausée ». Quarante ans après ces écrits – le monde de la télé ayant bien évolué depuis encore, d’où l’exemple de la téléréalité que je prends ici –, j’avoue que, sans faire du zèle, mon ressenti est similaire à celui de l’auteur italien. Plus exactement, je me situe toujours entre stupéfaction et profond agacement lorsqu’il m’arrive de croiser du regard un écran diffusant une émission de téléréalité. Pourquoi ? Déjà, il est logique que cela ne soit pas rigoureusement de la téléréalité dans le sens où ce genre de programme est largement scénarisé. Je ne suis pas pour qu’on montre n’importe quel segment de
la réalité quotidienne mais seulement ceux qui informent honnêtement et interpellent éthiquement, afin de développer la conscience critique et morale ainsi que la volonté d’engagement social.
Un programme de type fiction (film, feuilleton, série) peut exposer, avec une certaine efficacité esthétique, les vices et les vertus de l’être humain. Il existe bien des œuvres cinématographiques poignantes. En tant que fiction, l’émission de téléréalité, pour sa part, ne reflète aucune esthétique authentique de la réalité (bon sens populaire, décence ordinaire). Car ce qui est généralement mis en scène (ceci peut varier légèrement selon le thème de l’émission) est « la jetabilité, l'interchangeabilité et l'exclusion » ainsi que l'inutilité de « s'allier pour vaincre » puisque l'autre reste « un adversaire à éliminer », expressions du sociologue Zygmunt Bauman tirées de son livre La vie liquide dans lequel il avance, et oppose, deux concepts :
– la société liquide, soulignant le phénomène moderne des relations humaines sans lendemain. L’impermanence sociale en question concerne la vie aussi bien personnelle que professionnelle (précarité de l’emploi, vie sentimentale fluctuante) et résulte d’une anthropologie de l’être devenu avant tout un consommateur qui, une fois qu’il a obtenu ce qu’il désirait, peut « jeter » et passer à autre « chose », c’est-à-dire à un autre objet (un bien) ou un autre sujet (une personne), sans distinguer le caractère humain de l’attachement relatif au second cas ;
– la société solide, retrouvable avant certaines mutations du système capitaliste aux conséquences ultralibérales déshumanisantes. Soit cette société de la pérennité, dans laquelle l’individu construit véritablement son avenir dépendant d’un devenir commun donc d’une réelle conscience collective qui traverse les sphères de la vie politique, professionnelle, amicale et familiale.

Aucune forme d’esthétique, même cinématographique, n’est, de toute manière, retrouvable dans ces émissions. Leurs dirigeants embauchent des personnes qui, la plupart du temps, ne connaissent rien au métier d’acteur mais doivent quand même se plier à des règles scénaristiques en étant, par exemple, isolées sur une île (éventuellement baptisée « de la tentation » pour construire le titre du programme) ou dans un grand studio aménagé pour y vivre quelques jours ou semaines. Les prestations de ces gens – se contentant d’être souvent « jeunes et beaux » pour entretenir le visionnage du téléspectateur – donnent dans de l’improvisation du grotesque – vivent les embrouilles et crêpages de chignon car l’adversaire m’a piqué mes chaussettes ou mon rouge à lèvres ! –, allant même jusqu’à simuler une situation de survie sur ladite île alors que, sur le même temps, une majorité de Terriens est réellement, elle, dans la survie.
C’est vrai que le voyeurisme, forcément retrouvable dans la capacité à suivre ce genre d’émission, amène aussi à suivre des personnes obèses dans leur quotidien, qui tentent de suivre un régime. À partir de là, vous pouvez effectivement compatir pour celles-ci. Mais vous avez aussi l’indécente possibilité de vous moquer d’elles allégrement derrière votre écran. Dans les deux cas, il est certain que vous consommez à outrance votre curiosité, vous n’anoblissez pas votre comportement ni pour vous-même ni pour les autres ; concrètement, vous êtes en train de ne rendre service à personne. Vous nourrissez les propagateurs de tentations (d’où mon précédent clin d’œil à une émission particulière) qui bannissent tout questionnement commençant par un « pourquoi ? » afin d’idéaliser celui commençant par un « pourquoi pas ? ». Or, la sagesse se situe, bien sûr, dans le premier – qui sous-entend la considération permanente de la moralité à travers un sens des limites –, pas dans le second – qui, lui, sous-entend l’éventuelle et folle capacité de tout remettre en question, quitte notamment à voir autrui comme un objet.

« Si vous n'êtes pas vigilants, les médias arriveront à vous faire détester les gens opprimés et aimer ceux qui les oppriment. » (Malcolm X) C’est bien ce que les producteurs des précédents programmes demandent à leurs vedettes éphémères et sans ta-lent particulier (puisqu’il faut nous faire comprendre que n’importe qui, même un être particulièrement obscène, peut avoir son heure de gloire télévisuelle et que la télé n’est sûrement pas un monde de mérite) : réveiller et jouer des sentiments qui se rapportent plutôt aux bas instincts qu’à l’anoblissement. Si toutefois c’est bon pour faire augmenter le nombre de téléspectateurs, le monde sans mérite de la télévision saura vous faire tirer la larmichette, en exaltant sans pudeur l’atrocité de tel ou tel règlement de compte, attentat ou conflit militaire. Seul compte l’instant présent. Une quelconque volonté de prise de recul peut être médiatiquement jugée suspecte dès qu’elle risque de remettre en cause les intérêts économiques et, plus largement, la vision du monde de ceux qui arrosent justement les médias dominants et les politiciens à leurs ordres. Pour l’homme ordinaire, il ne s’agit pas d’user de réflexion mais de se soumettre, avant tout par l’émotivité, à une représentation virtuelle du monde réel, adaptée aux objectifs des dirigeants de la planète.
Bienvenue dans le monde, à vrai dire, de la compassion sponsorisée, s’étendant depuis longtemps déjà, et à tire-larigot, à ce que nous appelons la presse à scandale dont les rumeurs et ragots qu’elle propage peuvent concerner non pas seulement les coucheries des « people » mais aussi leurs problèmes de santé. Louison Chimel, Les Cahiers d'un Anarchiste conservateur

05/12/2015

Le « management de la terreur »

01/12/2015

Brève autobiographie sur l'orgueil

handicap-dance-jpg.jpg« Cesse de jouer la comédie, marche normalement maintenant ! » Ce sont les propos d’un homme qui a pris le temps de s’arrêter à ma hauteur en voiture alors que j’étais à pieds, en train de traverser l’une des placettes de la ville iséroise de Vienne. Je l’ai regardé fixement quelques secondes, en ne disant rien. Puis je suis reparti. Je me rendais à l’une des soirées du festival de jazz qui se déroule chaque été au même endroit (Théâtre antique de Vienne). Je ne voulais pas rompre, en l’occurrence, mon enthousiasme ni mon effort physique (rejoindre à pieds le lieu des concerts) à cause du propos de ce bonhomme.
Il n’empêche que, plus tard, je me brouillais un petit peu avec un des responsables de la sécurité qui surveillait l’accès à la plateforme pour les spectateurs handicapés. Rien de bien méchant. Il râlait car le collègue que j’étais censé retrouver ce soir-là était arrivé après moi et avait négocié une place auprès de moi alors que lui n’a pas de handicap et qu’il n’était pas non plus mon accompagnateur – le personnel de sécurité m’avait bien vu arriver seul.
Témoin de ma répartie, le camarade me dit, une fois les choses calmées : « Toi, tu es droit comme un i. » Je rigolai en lui rétorquant de façon décalée, en allusion à mes importants problèmes de scoliose : « Tu m’as bien regardé ? » Il ajoute : « Ce n’est pas drôle. En tout cas, je voulais dire que tu as un orgueil énorme mais c’est ça qui te sauve. »

Je ne connaissais pas cet homme depuis longtemps. Mais, si je relaie céans ce dialogue, c’est parce que sa remarque m’a fait méditer par la suite. En définitive, je la valide. À la différence de la simple fierté, l’orgueil enfreint à la justice. Or, quelle justice ? La justice légalisée ? Elle peut beaucoup se différencier de la justice légitime alors bon… Et puis, dans la phrase du collègue, à vrai dire, nous pouvons remplacer l’orgueil par la fierté. Même si, pour autant, je n’affirmerai jamais « je suis fier », je trouve qu’heureusement – parfois ou souvent – j’ai agi par simple fierté – voire par orgueil, au risque de ne pas être très juste. Mais, à ma place, s’il faut développer une certaine spiritualité pour entretenir un bien-être psychologique et moral, le combat qu’est la vie au quotidien est matérialiste (elle suscite, autrement dit, le réveil de l’ego) dans la mesure où l’autre, dans plusieurs situations et pour plusieurs raisons, vous rappelle votre différence (allusion ici à mon handicap physique). Soyons plus précis, il peut arriver qu’un individu :
– te méprise en considérant a priori que tu es moins autonome que ce que tu l’es réellement ;
– te jalouse si jamais tu fais des choses qu’il ne s’est jamais accordé à faire. Il peut se demander par exemple : « Depuis quand les « handicapés » ont des choses à dire ? Moi qui ne le suis pas, être moins compétent que lui dans quelque domaine que ce soit n’est pas concevable ! » Or, si on jalouse mon esprit, que compte-t-on me laisser ?
– t’affirme maladroitement qu’être handicapé comporte un avantage. À la différence, en effet, des personnes névrosées qui ont une apparence banale et une santé physique convenable, au moins mon handicap se voit ; comme si celui-ci ne portait aucune conséquence sur le moral ou la psychologie, comme si l’imperfection extérieure était automatiquement compensée par une perfection intérieure.

Se battre, donc, c’est certes lutter contre l’éventuelle rancœur qui ronge l’intérieur, rend antipathique et plus globalement asocial. Mais c’est aussi, parfois, savoir mépriser, au risque de sembler, sur le moment, autocentré, arrogant, insolent (Þ 1.6.2. La vie est un combat). Si je n’avais pas été l’auteur de certains actes qui peuvent être jugés comme relevant de l’orgueil – qu’on me les reproche ou pardonne –, je serais tout simplement déjà mort.
Dans ce cas, les gens incapables de m’encadrer peuvent reconnaître au moins qu’aujourd’hui je les laisse tranquilles. Je n’aime pas du tout entretenir des liens moralement infructueux voire carrément nuisibles.
En même temps que j’avoue ma tendance orgueilleuse, j’affirme sincèrement que je recherche la paix ; d’abord la mienne, bien sûr ; mais c’est naturellement pour la rendre aux autres. Je parle non seulement de la paix que nous pouvons trouver dans la solitude (ayant toutefois sa dimension insidieuse) mais aussi, bien sûr, à plusieurs, à travers les liens harmonieux, solidaires et fraternels – bien que menacés dans le monde moderne de l’atomisation des individus par le totalitarisme de la nomadisation et de la consommation.

Louison Chimel - Extrait de Anarchiste conservateur, tome 1