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10/12/2015

L'implicite « bombardement idéologique télévisé » (1/2)

cerveau.jpgNous pouvons être indirectement concernés par une forme de maltraitance. Mais « indirectement » sous-entend que nous n’en sommes pas conscients, tels les individus enchaînés dans la caverne de Platon. D’où le mythe philosophique de la caverne auquel je consacre une partie dans L’Anarque.
Par rapport au mot « canal », le mot « chaîne », employé pour parler de chaîne de télé, est plus intéressant. Car, par définition, une chaîne peut nous enchaîner…
Étant donnée la place très importante qu’occupe la télévision dans le quotidien des individus issus des classes populaires des pays riches (neuf ans en moyenne sur toute une vie pour un individu), il va de soi que, selon les pouvoirs économiques et politiques arrosant les médias principaux, elle ne doit pas être un instrument de prise de conscience des abus de pouvoir.
À partir de là, la télé – qui est, pour Pier Paolo Pasolini, « autoritaire et répressive comme jamais aucun moyen d’information au monde ne l’a été » (Écrits corsaires) – doit seulement divertir le quidam – restant ignare et non averti –, et le divertissement doit être conçu d’abord par nos élites ploutocratiques puis par les peuples qu’ils manipulent – en nette opposition à toute forme d’intelligence puisque icelle est matière à faire éclore le sens critique. En outre, la télévision – par la place croissante qu’y occupe la publicité – est un moyen majeur d’asservissement des peuples à la pratique de la consommation.
Plus la télévision occupe l’individu, plus elle doit donc proposer des programmes intellectuellement et moralement neutres – voire tout simplement vides – entrecoupés d’écrans publicitaires se répétant en grande quantité (multiplication par 70 de la présence de ces derniers depuis 1970).
Pier Paolo Pasolini écrit, dans ses Écrits corsaires – sortis en 1976 ! –, qu’il ne peut « plus fixer » son « regard, plus de quelques instants, sur un écran de télévision ». « C’est physique », ajoute-t-il, ceci lui « donne la nausée ». Quarante ans après ces écrits – le monde de la télé ayant bien évolué depuis encore, d’où l’exemple de la téléréalité que je prends ici –, j’avoue que, sans faire du zèle, mon ressenti est similaire à celui de l’auteur italien. Plus exactement, je me situe toujours entre stupéfaction et profond agacement lorsqu’il m’arrive de croiser du regard un écran diffusant une émission de téléréalité. Pourquoi ? Déjà, il est logique que cela ne soit pas rigoureusement de la téléréalité dans le sens où ce genre de programme est largement scénarisé. Je ne suis pas pour qu’on montre n’importe quel segment de
la réalité quotidienne mais seulement ceux qui informent honnêtement et interpellent éthiquement, afin de développer la conscience critique et morale ainsi que la volonté d’engagement social.
Un programme de type fiction (film, feuilleton, série) peut exposer, avec une certaine efficacité esthétique, les vices et les vertus de l’être humain. Il existe bien des œuvres cinématographiques poignantes. En tant que fiction, l’émission de téléréalité, pour sa part, ne reflète aucune esthétique authentique de la réalité (bon sens populaire, décence ordinaire). Car ce qui est généralement mis en scène (ceci peut varier légèrement selon le thème de l’émission) est « la jetabilité, l'interchangeabilité et l'exclusion » ainsi que l'inutilité de « s'allier pour vaincre » puisque l'autre reste « un adversaire à éliminer », expressions du sociologue Zygmunt Bauman tirées de son livre La vie liquide dans lequel il avance, et oppose, deux concepts :
– la société liquide, soulignant le phénomène moderne des relations humaines sans lendemain. L’impermanence sociale en question concerne la vie aussi bien personnelle que professionnelle (précarité de l’emploi, vie sentimentale fluctuante) et résulte d’une anthropologie de l’être devenu avant tout un consommateur qui, une fois qu’il a obtenu ce qu’il désirait, peut « jeter » et passer à autre « chose », c’est-à-dire à un autre objet (un bien) ou un autre sujet (une personne), sans distinguer le caractère humain de l’attachement relatif au second cas ;
– la société solide, retrouvable avant certaines mutations du système capitaliste aux conséquences ultralibérales déshumanisantes. Soit cette société de la pérennité, dans laquelle l’individu construit véritablement son avenir dépendant d’un devenir commun donc d’une réelle conscience collective qui traverse les sphères de la vie politique, professionnelle, amicale et familiale.

Aucune forme d’esthétique, même cinématographique, n’est, de toute manière, retrouvable dans ces émissions. Leurs dirigeants embauchent des personnes qui, la plupart du temps, ne connaissent rien au métier d’acteur mais doivent quand même se plier à des règles scénaristiques en étant, par exemple, isolées sur une île (éventuellement baptisée « de la tentation » pour construire le titre du programme) ou dans un grand studio aménagé pour y vivre quelques jours ou semaines. Les prestations de ces gens – se contentant d’être souvent « jeunes et beaux » pour entretenir le visionnage du téléspectateur – donnent dans de l’improvisation du grotesque – vivent les embrouilles et crêpages de chignon car l’adversaire m’a piqué mes chaussettes ou mon rouge à lèvres ! –, allant même jusqu’à simuler une situation de survie sur ladite île alors que, sur le même temps, une majorité de Terriens est réellement, elle, dans la survie.
C’est vrai que le voyeurisme, forcément retrouvable dans la capacité à suivre ce genre d’émission, amène aussi à suivre des personnes obèses dans leur quotidien, qui tentent de suivre un régime. À partir de là, vous pouvez effectivement compatir pour celles-ci. Mais vous avez aussi l’indécente possibilité de vous moquer d’elles allégrement derrière votre écran. Dans les deux cas, il est certain que vous consommez à outrance votre curiosité, vous n’anoblissez pas votre comportement ni pour vous-même ni pour les autres ; concrètement, vous êtes en train de ne rendre service à personne. Vous nourrissez les propagateurs de tentations (d’où mon précédent clin d’œil à une émission particulière) qui bannissent tout questionnement commençant par un « pourquoi ? » afin d’idéaliser celui commençant par un « pourquoi pas ? ». Or, la sagesse se situe, bien sûr, dans le premier – qui sous-entend la considération permanente de la moralité à travers un sens des limites –, pas dans le second – qui, lui, sous-entend l’éventuelle et folle capacité de tout remettre en question, quitte notamment à voir autrui comme un objet.

« Si vous n'êtes pas vigilants, les médias arriveront à vous faire détester les gens opprimés et aimer ceux qui les oppriment. » (Malcolm X) C’est bien ce que les producteurs des précédents programmes demandent à leurs vedettes éphémères et sans ta-lent particulier (puisqu’il faut nous faire comprendre que n’importe qui, même un être particulièrement obscène, peut avoir son heure de gloire télévisuelle et que la télé n’est sûrement pas un monde de mérite) : réveiller et jouer des sentiments qui se rapportent plutôt aux bas instincts qu’à l’anoblissement. Si toutefois c’est bon pour faire augmenter le nombre de téléspectateurs, le monde sans mérite de la télévision saura vous faire tirer la larmichette, en exaltant sans pudeur l’atrocité de tel ou tel règlement de compte, attentat ou conflit militaire. Seul compte l’instant présent. Une quelconque volonté de prise de recul peut être médiatiquement jugée suspecte dès qu’elle risque de remettre en cause les intérêts économiques et, plus largement, la vision du monde de ceux qui arrosent justement les médias dominants et les politiciens à leurs ordres. Pour l’homme ordinaire, il ne s’agit pas d’user de réflexion mais de se soumettre, avant tout par l’émotivité, à une représentation virtuelle du monde réel, adaptée aux objectifs des dirigeants de la planète.
Bienvenue dans le monde, à vrai dire, de la compassion sponsorisée, s’étendant depuis longtemps déjà, et à tire-larigot, à ce que nous appelons la presse à scandale dont les rumeurs et ragots qu’elle propage peuvent concerner non pas seulement les coucheries des « people » mais aussi leurs problèmes de santé. Louison Chimel, Les Cahiers d'un Anarchiste conservateur

Commentaires

Les soi disantes informations sont encore plus perfides.. Ce sont Elles qui dirigent nos humeurs... Ici Chez moi, en allemagne, leur Concept prefere c " je vais bien, tout va bien!"... Si c Pas triste.. Les infos durent Environ 15 min maximum... Et Jamais rien d Alarmant... Et le pire, c que Ca Marche....

Écrit par : Alex | 15/12/2015

J'ignorais ce phénomène en Allemagne.

Écrit par : Anthony | 22/12/2015

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