29/11/2015
Point de la semaine : notre incapacité politique (partie 2)
Rendre impossible le sabotage ou le parasitage, par une posture égoïste, d’une reconquête de la démocratie réelle — et donc de la souveraineté populaire — nous ramène, selon Jean-Claude Michéa dans son entretien pour la revue A contretemps de Juillet 2008, à « la dimension anarchiste de la question politique » qui « devrait toujours accorder une importance décisive aux trois principes suivants » :
– « la rotation permanente des fonctions dirigeantes ». En effet, gardons à l’esprit ces paroles visionnaires de Mikhaïl Bakounine dans Dieu et l’État : « L’affaire de tous les pouvoirs établis est de s’éterniser en rendant la société confiée à ses soins toujours plus stupide et par conséquent plus nécessiteuse de son gouvernement et de sa direction. » Chose vraie aussi bien « pour les académies scientifiques » que « pour les assemblées constituantes et législatives, alors même qu’elles sont issues du suffrage universel. Ce dernier peut en renouveler la composition, il est vrai, ce qui n’empêche pas qu’il ne se forme en quelques années un corps de politiciens, privilégiés de fait, non de droit, qui, en se vouant exclusivement à la direction des affaires publiques d’un pays, finissent par former une sorte d’aristocratie ou d’oligarchie politique ».
– « une politique de défiance systématique envers les micros et les caméras du système » sous-entendu médiatique. En effet, nous détenons une sensibilité anarchiste – ou, si nous préférons, anarchique et salutaire – lorsqu’est entretenu, consciemment ou inconsciemment, un instinct de méfiance à l’égard de toute nouvelle forme d'autorité qui se présente à nous. De surcroît, nous ne pouvons que reconnaître que les médias dominants relaient, notamment par l’omniprésence publicitaire, les principes de l’idéologie dominante totalement adaptée à la Loi du Marché. En conséquence, défendre réellement la cause sociale n’est pas chercher à fanfaronner dans les médias par narcissisme en portant un message anarchisant « à la mode » – boulot du révolutionnaire « branché » (du type Olivier Besancenot), du libertaire au service du libéral ;
– (« le plus difficile puisqu’il s’agit d’un travail qui devrait concerner chaque militant en tant qu’individu singulier ») « un souci constant de s’interroger sur son propre désir de pouvoir et sur son degré d’implication personnelle dans le mode de vie capitaliste » car « il doit y avoir un minimum de cohérence entre les idées que l’on prétend défendre et la façon dont on se comporte dans sa vie quotidienne ».
Nous pouvons ajouter, à ces principes, les trois adages suivants, tirés du livre Le Peuple de l’abîme (1903) du célèbre écrivain britannique Jack London :
– « Lorsqu'un homme en nourrit un autre, il en devient le maître » ;
– « Si un homme vit dans l'oisiveté, un autre homme meurt de faim à sa place » (proverbe chinois) ;
– « Si plusieurs tailleurs travaillent à l'habit d'un seul homme, beaucoup d'autres hommes n'auront pas de quoi se vêtir. » (Montesquieu)
Le bien redevenu vraiment commun par le biais de la démocratie fait coïncider cette dernière avec l’anarchie dès lors que, comme nous dit Pierre-Joseph Proudhon dans ses Confessions d’un révolutionnaire, « la république est une anarchie positive ». Il faut entendre par république la société construite autour d’un bien commun déterminé, géré, entretenu réellement par les citoyens. Proudhon compare, autrement, l’anarchie négative au capitalisme (ce qui ne fera pas plaisir aux « anarcho-capitalistes »). Au final, cet auteur, et comme il est entendu dans le langage courant, donne deux sens, positif et négatif, à l’anarchie ; ordre absolu et raison pour le premier ; chaos et déraison pour le second.
Précisons que l’anarchie négative peut être entendue positivement comme le refus, au nom de la liberté, de l’autorité extérieure vécue comme une domination, une oppression.
Rappelons, en passant, que Proudhon est le premier penseur de l’histoire à s’être dit anarchiste.
Nous pouvons relier les trois appellations suivantes, pouvant correspondre au système politico-national défendu par ce dernier, comme cela : république fédérale => État confédéral => confédération nationale.
Notre préférence parmi elles se fera en fonction de notre rejet total ou partiel de la notion d’État. Il semble que Proudhon, de son côté, n’avait pas de préférence particulière à propos de ces dénominations.
La confédération nationale se constituerait, sinon, de :
– communes qui seraient plus grandes que celles actuellement – elles peuvent, par exemple, correspondre aux cantons actuels ;
– départements – qui seraient les mêmes qu’actuellement ;
– régions – nous pouvons conserver les 22 régions de la France métropolitaine de 2014.
Dans l’idée de rendre réellement le pouvoir au peuple, chaque département aurait sa constitution déterminée par une importante dynamique constituante, issue des communes et organisée par les citoyens. Tendre, sinon, vers le communalisme me semble être intéressant. Il faut, pour cela, dès aujourd’hui, sensibiliser les individus à l’impérieuse nécessité d’écrire eux-mêmes la constitution de leur département. Nous devons comprendre qu’être un citoyen c’est être d’abord un constituant, c’est s’entraîner collectivement – même à deux ou trois dans un premier temps – à réfléchir sur les principes à inclure dans cette constitution, c’est enfin s’entraîner à rédiger celle-ci. Raisonnement analogue à l’échelle des régions avec, dans chacune d’elles, une dynamique constituante issue de leurs départements, avec l’ensemble des citoyens motivés, que certains mandatent ou non un citoyen devant porter scrupuleusement leur message au cours des assemblées populaires départementales. La réalité actuelle est que nous laissons un groupe d’élus définir lui-même les limites de son propre pouvoir. Nous sommes naïfs de croire que les personnes en question ne vont pas en profiter pour assurer institutionnellement leur domination. C’est comme si nous donnions le bâton pour nous faire battre !
Au nom de la cohésion de la confédération nationale (et pour intégrer les principes indiqués au début de ce texte), il faut naturellement que :
– une constitution à l’échelon territorial national assure son organisation ;
– les constitutions régionales aient un minimum de points communs entre elles ainsi que les constitutions des départements de chaque région.
Toutes les fédérations (régionales, départementales, communales) doivent reposer sur un socle minimal de valeurs communes. Autrement, la confédération ne peut fonctionner, l’entente et l’entraide intercommunales et interrégionales ne peuvent être réalité
Car oui, le régime confédéraliste est un régime de solidarité entre structures issues de la même subdivision territoriale (région, département, etc.). De multiples conventions intercommunales appuieront naturellement cette solidarité. Des communes plus pauvres pourront recevoir des aides particulières de communes plus riches. Les souverainetés des communes d’un même département constitueront équitablement, sans privilégier l’une par rapport à l’autre, la souveraineté de ce département. Même logique pour les autres échelons territoriaux.
Pour paraphraser Pierre-Joseph Proudhon dans Du principe fédératif, une constitution fédérale – quel que soit l’échelon de la fédération – est « le pacte de garantie mutuelle » contenant « les droits et obligations réciproques » des structures fédérées (les régions d’un pays, les départements d’une région, etc.).
Par conséquent, pour la pérennité de la confédération nationale, il doit exister des principes non négociables. Cela peut sembler contradictoire au nom de la démocratie directe et, en même temps, c’est pour qu’entre autres elle-même soit instaurée et perdure.
Mais quels doivent être selon vous ces principes ? Je vous énoncerai ceux qui me semblent essentiels la prochaine fois. A savoir que mon prochain Point de la semaine se fera seulement après les prochaines élections régionales qui, ploutocratisme oblige, n'ont rien à voir avec la démocratie la vraie.
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