09/05/2016
L'art critique et justicier, de Proudhon à Camus
Citation tirée d’un texte de Pierre-Joseph Proudhon sur le prêtre et l’artiste qui, selon lui, ont un crucial point commun : « Entre le prêtre, dont la conscience n’est affermie qu’en Dieu, et l’artiste, dont le génie ne se repaît que d’idéalités formelles, spirituelles, d’idoles, l’analogie est complète : ils périront l’un et l’autre de la même dissolution. » (Le texte en question est tiré d’un ouvrage appelé Controverse sur Courbet et l'utilité sociale de l'art, édité par Christophe Salaün en 2011, dans lequel on retrouve aussi des textes d’Émile Zola.)
À propos de l’art en particulier, Proudhon le voit – dans Du Principe de l’art et de sa destination sociale – comme « une représentation idéaliste de la nature et de nous-mêmes, en vue du perfectionnement physique et moral de notre espèce ». Le Bisontin défend plus précisément un « art critique » ou encore un « art justicier », un art non seulement subjectif mais aussi forcément objectif, servant la cause collective. Autrement dit, un art qui (en citant toujours ce dernier livre) :
– « commence par se faire justice lui-même en se déclarant serviteur, non de l’absolu, mais de la raison pure et du droit ;
– « ne se contente plus d’exprimer ou de faire naître des impressions, de symboliser des idées ou des actes de foi ; mais qui à son tour, unissant la conscience et la science au sentiment, discerne, discute, blâme ou approuve à sa manière ;
– « aux définitions de la philosophie et de la morale, vient ajouter sa sanction propre, sa sanction du beau et du sublime ;
– « se ralliant au mouvement de la civilisation, en adoptant les principes, est incapable de se pervertir par l'abus et l'idéal, et de devenir, lui-même instrument et fauteur de corruption. »
J’en profite pour, à présent, vous faire partager ce très beau passage d’Albert Camus (1913-60) tiré de L’homme révolté : « L'art […] nous apprend que l'homme ne se résume pas seulement à l'histoire et qu'il trouve aussi une raison d'être dans l'ordre de la nature. […] Sa révolte la plus instinctive, en même temps qu'elle affirme la valeur, la dignité commune à tous, revendique obstinément, pour en assouvir sa faim d'unité, une part intacte du réel dont le nom est la beauté. On peut refuser toute l'histoire et s'accorder pourtant au monde des étoiles et de la mer. Les révoltés qui veulent ignorer la nature et la beauté se condamnent à exiler de l'histoire qu'ils veulent faire la dignité du travail et de l'être. Tous les grands réformateurs essaient de bâtir dans l'histoire ce que Shakespeare, Cervantes, Molière, Tolstoï ont su créer : un monde toujours prêt à assouvir la faim de liberté et de dignité qui est au cœur de chaque homme. La beauté, sans doute, ne fait pas les révolutions. Mais un jour vient où les révolutions ont besoin d'elle. Sa règle qui conteste le réel en même temps qu'elle lui donne son unité est aussi celle de la révolte. Peut-on, éternellement, refuser l'injustice sans cesser de saluer la nature de l'homme et la beauté du monde ? Notre réponse est oui. Cette morale, en même temps insoumise et fidèle, est en tout cas la seule à éclairer le chemin d'une révolution vraiment réaliste. En maintenant la beauté, nous préparons ce jour de renaissance où la civilisation mettra au centre de sa réflexion, loin des principes formels et des valeurs dégradées de l'histoire, cette vertu vivante qui fonde la commune dignité du monde et de l'homme, et que nous avons maintenant à définir en face d'un monde qui l'insulte. » Louison Chimel
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