09/06/2015
L'anarchisme conservateur et l'anarchisme de droite (1/3)
(Extrait de mon prochain livre Anarchiste conservateur, Louison Chimel)
Par rejet de la démocratie, l’anarchisme de droite peut se confondre avec un anarchisme élitiste. Toutefois, les partisans ne se considèrent pas forcément eux-mêmes comme une élite. A vrai dire, s’ils refusent de légitimer l’autorité de leur voisin sur eux, ce n’est pas pour imposer la leur.
Les anarchistes de droite méprisent, en général, la démocratie. Disons qu’ils aiment surtout souligner, avec cynisme et ironie, que nous vivons sous une fausse démocratie malgré tous les procédés psychologiques et intellectuels des responsables politiques, et experts attitrés, destinés à nous faire croire le contraire et à appuyer, par là, la vraie ploutocratie dans laquelle nous évoluons. Je peux donc aisément – et c’est ce que je fais dans ce livre – dénoncer, avec les anarchistes de droite, cette fausse démocratie et l’asservissement associé. Je m’en remets notamment aux critiques émises entre autres par le syndicaliste révolutionnaire Georges Sorel. A la différence, par contre, des anarchistes de droite, je défendrai clairement la vraie démocratie, avec l’ensemble des dispositions communes qui s’en rattache – que ce soit dans le domaine de l’éthique ou dans celui de l’institution. Pour certaines raisons, l’anarchisme de droite, lui, sera pris pour de l’anarchisme individualiste. Anarchistes de droite et individualistes peuvent se retrouver dans le passage suivant : « L’Anarque, conscient de l’absurde – détenu en chaque homme – peut s’amuser à penser, comme Pierre Desproges, que « les aspirations des pauvres ne sont pas très éloignées des réalités des riches ». Louis-Ferdinand Céline, de son côté, écrivit que le prolétaire était un bourgeois qui n’a pas réussi. » (L'Anarque) Cela fait un point commun entre anarque, anarchiste de droite et anarchiste individualiste. Effectivement, s’il est anarchiste de considérer l’unicité individuelle, on ne peut pas affirmer que le degré de bienveillance soit identique d’un prolétaire à un autre ou d’un bourgeois à un autre. Des bourgeois ont même une meilleure conduite que des prolétaires. Sans être convaincu par le propos, j’entends aussi André Malraux qui, dans Les Conquérants, écrit : « Je les préfère [les pauvres], mais uniquement parce qu'ils sont des vaincus. Oui, ils ont, dans l’ensemble, plus de cœur, plus d'humanité que les autres : vertus de vaincus. Mais je sais très bien qu'ils deviendraient abjects, dès que nous aurions triomphé ensemble. »
En revanche, l’anarchiste de droite défend des valeurs traditionnelles, et même aristocratiques – l’auteur Chimel-Georges Micberth (1945-2013) disait défendre un « aristocratisme libertaire ». L’anarchiste de droite est un anticonformiste pouvant avoir recours à la Tradition. L’anarchiste individualiste n’est pas forcément lié à la Tradition. Il puise, éventuellement beaucoup, sa philosophie dans le libéralisme promouvant la liberté individuelle.
L’anarchiste conservateur, tel George Orwell, affirme qu’on est à même de retrouver des valeurs traditionnelles parmi les gens ordinaires. S’il s’arrêtait à cela, nous pourrions le comparer à un anarchiste de droite. Or, il précise que la common decency – cette décence des gens ordinaires, découlant de leur conservation d’un sens du passé et du langage, du partage et de l’entraide – constitue un socle de valeurs pour l’avènement d’un socialisme populaire. Les anarchistes de droite, de par leurs postures inégalitaires issues de leur « aristocratisme », n’insisteront pas, eux, sur cette common decency. Par ailleurs, ils ne parleront jamais en bien d’une quelconque forme de socialisme.
L'anarchiste conservateur et l'anarchiste de droite souhaiteront parfois conserver la même chose. En revanche, le premier peut valider certaines analyses marxistes et considérer les inspirations bienveillantes d'un Maximilien Robespierre. Le second conchie notamment l’héritage des Lumières et les pensées jacobines et marxistes. L’écrivain François Richard, collaborateur de Micberth ayant publié plusieurs ouvrages sur l’anarchisme de droite, écrit : « La caractéristique de tous [les anarchistes de droite] que leur forte individualité sépare et rend parfois hostiles les uns aux autres, c'est le refus des mots creux, des abstractions grotesques imposées comme valeurs suprêmes du Progrès à majuscule et d'une république considérée par Léon Bloy comme « le droit divin de la médiocrité absolue. » (L'anarchisme de droite dans la littérature contemporaine).
L’autocritique de l’anarchiste conservateur devient, chez l’anarchiste de droite, autodérision. Orwell, dans Le Quai de Wigan, écrit : « Je suis un semi-intellectuel décadent du monde moderne, et j’en mourrais si je n’avais pas mon thé du matin et mon « New statesman » du vendredi. Manifestement je n’ai pas envie de revenir à un mode de vie plus simple, plus dur, plus fruste et probablement fondé sur le travail de la terre.... Mais en un autre sens, plus fondamental, j’ai envie de tout cela et peut-être aussi en même temps d’une civilisation où le « progrès » ne se définirait pas par la création d’un monde douillet à l’usage des petits hommes grassouillets. » Où situer l’auteur anglais avec ce propos-là ? Entre les deux précédentes postures ? Car je doute qu’un anarchiste de droite se voie tel « un semi-intellectuel décadent du monde moderne ». En tous les cas, j’apprécie cette citation, soulignant l’imperfection de tout être humain, reconnaissant ses limites psychologiques qui ne lui permettent pas toujours de mettre en accord ses actes avec ses idées (mais une forme d’humilité se dégage de cet aveu).
Le droitisme de l’anarchiste de droite – qui a tendance à avoir une bonne estime de lui – ne doit pas être comparé avec une inclination à la bourgeoisie qu’il déteste, même si, à cause de son attitude éventuellement hautaine, nous risquons de le prendre pour un bourgeois. La noblesse est morte. Les snobs, par définition, veulent les singer. Les anarchistes de droite désirent être les nouveaux nobles, mais d’abord pour eux-mêmes. Il ne s’agit pas d’imposer quoi que ce soit auprès du peuple, au risque sinon de passer pour les snobs qu’ils méprisent ardemment.
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