Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

11/04/2014

Le fascisme des antifascistes, par Pier Paolo Pasolini (2/2)

Pier-Paolo-Pasolini.jpegSelon moi, l’Italie vit quelque chose d’analogue à ce qui advint en Allemagne au début du nazisme. On assiste aussi en Italie, à ces phénomènes d’homologation et d’abandon des vieilles valeurs paysannes, traditionnelles, particulières, régionales, qui furent l’humus sur lequel grandit l’Allemagne nazie. Il y a une masse énorme de gens qui est fluctuante, dans un état d’impondérabilité des valeurs, mais qui n’a pas encore acquis les nouvelles, nées de l’industrialisation. C’est un peuple qui est en train de devenir petite bourgeoisie mais qui n’est encore ni l’un ni l’autre. Selon moi, le noyau de l’armée nazie fut constitué justement par cette masse hybride, ce fut le matériel humain d’où naquit en Allemagne, le nazisme. Et l’Italie est en train de courir ce risque.

Quant à la chute du fascisme, il y a avant tout un facteur contingent, psychologique. La victoire, l’enthousiasme de la victoire, les espérances nouvelles, le sens de la liberté retrouvée et de toute cette façon d’être nouvelle, avaient rendu les hommes, à la libération, meilleurs. Meilleurs, purement et simplement.

Mais il y a un autre facteur, plus réel: le fascisme qu’avaient expérimenté les hommes d’alors, ceux qui avaient été des antifascistes et qui avaient traversé les expériences de ces vingt-années-là, de la guerre, de la Résistance, était un fascisme somme toute meilleur que celui d’aujourd’hui. Vingt ans de fascisme je crois, n’ont jamais fait les victimes qu’a fait le fascisme de ces dernières années. Des choses horribles comme les massacres de Milan, de Brescia, de Bologne, n’avaient jamais eu lieu alors. Il y avait eu le délit Matteotti, bien sûr, mais l’arrogance, la violence, la méchanceté, l’inhumanité, la froideur glaciale des délits commis depuis le 12 Décembre 1969, ne s’étaient jamais vu en Italie. Voilà pourquoi il y a tant de haine, de scandale, et si peu de capacité de pardonner… Sauf que cette haine est dirigée quelques fois de bonne foi et d’autres, en parfaite mauvaise foi, vers la mauvaise cible, sur les fascistes archéologiques, et non pas sur le pouvoir réel.

Prenons les pistes “noires”. J’ai une idée peut-être un peu trop romanesque des choses mais que je crois juste. Le roman est celui-ci. Les hommes de pouvoir, et je pourrais peut-être même citer des noms sans craindre de me tromper de beaucoup - d’ hommes qui nous gouvernent depuis trente ans - ont d’abord géré la stratégie de la tension à caractère anticommuniste, puis, passée la préoccupation de la subversion de 68 et du danger communiste immédiat, ces mêmes personnes ont géré la stratégie de la tension antifasciste. Les massacres ont toujours été perpétrés donc par les mêmes personnes. D’abord, le massacre de Piazza Fontana, en accusant les extrémistes de gauche, puis celui de Brescia et de Bologne en accusant les fascistes et en essayant de se refaire rapidement une virginité antifasciste dont ils avaient besoin, après la campagne du referendum et après referendum, pour continuer à gérer le pouvoir comme si de rien n’était.

Quant aux épisodes d’intolérance que vous avez rappelés, je ne les qualifierais pas exactement d’intolérance. Ou du moins il ne s’agit pas de l’intolérance typique de la société de consommation. Il s’agit en réalité de cas de terrorisme idéologique. Malheureusement, les gauches vivent actuellement, dans un état de terrorisme, qui est né du mouvement de 68 et qui continue aujourd’hui encore. Je dis pas qu’un professeur qui, victime de chantage de la part d’un certain gauchisme, ne donne pas sa licence à un jeune de droite, est un intolérant. Je dis qu’il est terrorisé. Ou un terroriste. Mais ce type de terrorisme idéologique n’a qu’une parenté formelle avec le fascisme. Terroriste l’un, terroriste l’autre, c’est vrai. Mais sous le schéma de ces deux formes quelques fois identiques, il faut reconnaître des réalités profondément différentes. Sinon on finit inévitablement dans la théorie des “extrémismes opposés”, ou bien dans le “Stalinisme égal Fascisme”.

Mais j’ai appelé ces épisodes terrorisme et non pas intolérance parce que selon moi, la véritable intolérance est celle de la société de consommation, de la permissivité concédée par l’autre, voulue dans les hautes sphères, qui est la véritable la pire, la plus sournoise, la plus froide et la plus cruelle forme d’intolérance. Parce que c’est une intolérance masquée de tolérance. Parce qu’elle n’est pas réelle. Parce qu’elle est révocable à chaque fois que le pouvoir en éprouve le besoin. Parce que c’est le véritable fascisme d’où vient ensuite l’antifascisme de manière: inutile, hypocrite, fondamentalement agréé par le régime.

(“L’Europeo”, 26 Décembre 1974, interview de Pier Paolo Pasolini, par Massimo Fini, publiée par la suite dans le livre “Scritti Corsari”)

Les commentaires sont fermés.