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05/06/2012

La règle d’or revisitée. Partie 1 sur 2

la-regle-d-or.jpgOlivier Du Roy, La Règle d’or, éditions du Cerf, 2009

La règle d’or, une maxime négligée, surtout dans le monde francophone : l’intention d’Olivier Du Roy est de la revivifier en rappelant ses origines et sa présence partout où religion et culture sont attestées, c’est-à-dire depuis le Ve siècle avant notre ère. Avec une ardeur contenue et beaucoup d’érudition, il passe en revue les diverses interprétations de la maxime, les louanges et critiques dont elle a été l’objet à travers les siècles et l’ampleur qu’elle a prise à travers le monde ; son objectif est de nous en faire découvrir le mécanisme intime qui explicite sa portée morale et justifie son universalité.

« La règle d’or [...] prescrit de sortir de soi pour traiter l’autre comme un moi, aussi important pour lui-même que je le suis pour moi ». Dès l’introduction, l’auteur précise la fonction de cette maxime séculaire qui s’énonce, dans sa formulation positive : agis envers les autres comme tu veux qu’ils agissent envers toi, et dans sa formulation négative : ne fais pas aux autres ce que tu ne veux pas qu’ils te fassent. Il s’agit, dit-il, de réversibilité et non de réciprocité, comme cela a été souvent interprété.

Dans une première partie, très bien renseignée, il démonte les diverses modulations et altérations de l’énoncé de la maxime, qui varie selon les époques et les utilisateurs. Il identifie le ressort fondamental – souvent implicite – qui permet à la maxime de fonctionner : l’inversion des rôles, et repère deux grands types de formulations : celles « qui partent d’un désir ou d’une crainte du sujet » et celles « qui se fondent sur un jugement de valeur ».

Les premières, qu’elles soient positives ou négatives, obéissent à la règle d’empathie. Il s’agit de saisir, par intuition cognitive émotionnelle, ce que ressent ou ressentirait l’autre en nous appuyant sur ce que nous désirons ou craignons nous-mêmes. Ce sont les formulations les plus anciennes et les plus répandues. Dans leur forme négative, particulièrement, elles rendent explicites et ce faisant, humanisent les interdits du Décalogue : ne fais pas à autrui (ne tue pas, ne vole pas etc.) ce que tu ne voudrais pas qu’autrui te fasse (qu’il te tue ou te vole etc.) ; la soumission à l’interdit passe par la médiation de l’identification à l’autre ; me mettant à sa place, je ressens ce qu’il ressentirait si j’agissais de manière malveillante envers lui.

Les formulations qui se fondent sur un jugement de valeur obéissent, nous dit l’auteur, à la règle d’équité. Ce que tu condamnes chez les autres, ne le commets pas toi-même ; cela équivaudrait, en quelque sorte, à avoir deux poids deux mesures. C’est un point de vue qui fait plus grand cas du raisonnement. Dans cette optique plus complexe, se mettre à la place de l’autre, c’est travailler sur l’impartialité : savoir prendre de la distance par rapport à soi, prévoir les conséquences de son comportement, mais aussi prendre en compte le contexte social, psychologique etc. dans lequel se situe l’autre.

Plusieurs pages sont consacrées à un relevé systématique des méprises qui ont été faites sur le sens de la règle d’or au cours des siècles. Le premier texte que nous cite Olivier Du Roy date du début du XVIe siècle. Wolfgang Musculus, grand prédicateur réformé, admoneste ses ouailles, de manière directe et saisissante, sur les déformations qu’ils font subir à la formule évangélique selon laquelle nous devons faire du bien aux autres comme nous souhaitons qu’on nous fasse du bien, et rétablit en regard, la vraie signification des paroles du Christ. Le deuxième texte, rédigé par Benjamin Camfield en 1671, est une mise en garde contre les contrefaçons que la règle d’or a suscitées ; Olivier Du Roy en organise le contenu sous forme de tableau, auquel il ajoute une liste explicative très utile des différents contresens relevés, suivis chacun d’une mise au point du vrai sens de la maxime.

Au cours du temps, il a donc fallu éviter certains écueils. Par exemple, le risque pour la règle d’or d’être confondue avec la loi du Talion. L’action d’autrui à mon égard ne doit en aucun cas influencer mon comportement. « Ce que je voudrais qu’autrui fasse pour moi n’est pas le motif de ce que je dois faire pour lui. Car je ne le fais pas pour qu’il me le fasse, ni parce qu’il me l’a fait, mais parce que comme moi, comme autre moi, il peut désirer ou craindre que je le lui fasse ». Le risque aussi de se projeter dans l’autre et de lui prêter mes désirs et mes craintes, ou encore d’assimiler la maxime à une règle de prudence : suivons la règle pour être traité de la même manière, ou à une recherche de paix sociale contractuelle, à la Hobbes ou à la Hume. Aussi des corrections ont-elles été proposées, principalement par les théologiens et les philosophes. Des mots ont été ajoutés : Augustin, par exemple, délimite le champ de tout ce que vous voulez que les hommes vous fassent en ajoutant ‘de bon’ – et modifie ce faisant la maxime évangélique en expliquant que pour soi, on ne peut vouloir que du bien. D’aucuns proposeront d’ajouter la notion de raison, d’autres celle de devoir ; parmi les modernes, il y a ceux qui recherchent une logique implacable, tel notre contemporain Harry Gensler : « Faire A à X est incompatible (ne peut être combiné) avec le fait de ne pas consentir à l’idée que A te fasse la même chose dans une situation exactement semblable = ne fais aux autres que ce que tu acceptes qu’ils te fassent dans la même situation ».

La deuxième partie est consacrée à la découverte de l’universalité, dans le temps et dans l’espace, de la règle d’or. Cette découverte, nous explique l’auteur, s’est faite progressivement au cours des quatre derniers siècles. C’est particulièrement grâce à Benjamin Camfield – auteur anglais du XVIIe siècle qui écrivit le premier traité consacré à la règle d’or, dans lequel il apporte toutes les références à cette règle trouvées chez les auteurs grecs et latins – que la prise de conscience va commencer à se faire. Dans cette liste on trouve chez les grecs Homère, Aristote, etc. Epictète, Sénèque, Horace et d’autres, chez les latins. Tous finalement de tradition occidentale. Mais quelle ne fut pas la sidération de tous nos penseurs, théologiens, philosophes ou autres, lorsqu’ils prirent connaissance, via les missionnaires, de l’oeuvre de Confucius. Ainsi ce docte païen, ayant vécu entre le sixième et le cinquième siècle avant Jésus-Christ, exhorte ses disciples à pratiquer le ren (vertu d’humanité) en ces termes : « Pratiquer le ren, c’est commencer par soi-même : vouloir établir les autres autant qu’on veut s’établir soi-même, et souhaiter leur réussite autant qu’on souhaite la sienne propre… ». e-ostadelahi.fr - Avril 2010

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