18/08/2015
Le principe fédératif proudhonien opposé à l'actuel fédéralisme européen
(Extrait de mon prochain livre : Anarchiste conservateur)
« Le fédéralisme régional […] ce serait encore une organisation politique de haut en bas. L’organisation vraiment populaire commence au contraire par un fait d’en bas, par l’association et par la commune. Organisant ainsi de bas en haut, le fédéralisme devient alors l’institution politique du socialisme, l’organisation libre et spontanée de la vie populaire. » (Mikhaïl Bakounine, Circulaire à mes amis d’Italie)
Je trouve plus logique de parler de confédéralisme plutôt que de fédéralisme pour préciser la nature du principe fédératif proudhonien (et bakouninien). Ou bien il faut toujours insister sur le fait qu’il est question d’un fédéralisme fortement décentralisé.
Par exemple, dans l’extrait suivant tiré du Principe fédératif, Pierre-Joseph Proudhon utilise lui-même l’adjectif « confédéré » lorsqu’il explique que les pouvoirs de l’autorité centrale doivent être réduits « à un simple rôle d’initiative générale, de garantie mutuelle et de surveillance, dont les décrets ne reçoivent leur exécution que sur le visa des gouvernements confédérés et par des agents à leurs ordres ».
Pour le philosophe franc-comtois, plus la structure géopolitique est grande (une nation est plus grande qu’une région) plus son pouvoir doit être limité. D’ailleurs, au niveau européen, il parlait lui-même de confédération. L’Europe doit être, pour lui, confédérale. Elle doit certes posséder un budget, une cour de justice, un marché commun (libre-échange mais taxe de compensation, liberté de résidence et de circulation) mais son organisation ne peut que reposer sur la volonté des peuples en faisant remonter et respecter leur choix par la démocratie directe d’abord dans leurs communes et cantons. De ce fait, l’Europe confédérale peut paraître difficile à construire. Mais au moins, cette Europe-là, si elle doit exister un jour, sera réellement démocratique.
Une nation, par rapport à un continent, est fédération. Mais elle est, par rapport à ses provinces (ou régions), une confédération bien qu’elle reste, pour les citoyens, fédération par rapport au continent car son pouvoir est plus important. Dans l’Europe actuelle, les choses sont totalement inversées : le pouvoir européen est plus important que ceux des nations qui, à leur tour, sont plus importants que ceux de leurs régions – quoique, à ce niveau-là, il faut voir au cas par cas, l’Allemagne est par exemple un pays fort décentralisé. Par conséquent, nous pouvons tout à fait, par proudhonisme, dénoncer les institutions européennes et défendre contre elles les souverainetés nationales et, en même temps, vouloir un pouvoir beaucoup plus important au niveau régional, départemental, cantonal et communal. C’est le pouvoir d’une structure géographiquement plus petite qui doit appuyer les décisions de la structure qui, toujours géographiquement, se place juste au-dessus d’elle. La délégation du pouvoir se fait de bas en haut et non de haut en bas. En conséquence de quoi le pouvoir, pour sa plus grande partie, reste en bas. La souveraineté européenne doit être le pur reflet des souverainetés populaires donc des démocraties nationales. Icelle doit être le pur reflet des démocraties régionales, etc.
Proudhon nous dit encore : « Dans la fédération, le principe d’autorité étant subalternisé, la liberté prépondérante, l’ordre politique est une hiérarchie renversée dans laquelle la plus grande part de conseil, d’action, de richesse et de puissance reste aux mains de la multitude confédérée, sans pouvoir jamais passer à celles d’une autorité centrale. » Le but est que soit opérée subsidiarité maximale ; autrement dit que le plus grand nombre de problématiques politiques et sociales soit géré à l’entité collective la plus proche possible du citoyen. En effet, il s’agit de donner un pouvoir inédit aux plus petites structures sociopolitiques. Proudhon a, ceci dit, bien conscience d’un « dualisme » qui se formerait entre une « loi d’unité » et une « loi de divergence ». Pourtant, il croit qu’à travers lui se situe un équilibre afin que tout citoyen « empile » consciences sociale, locale, nationale et européenne. Louison Chimel
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Commentaires
Excellent article, j’en approuve sans réserve les fondements.
Mais c’est très difficile de se faire comprendre. Peut être faut-il aller un peu plus aux extrémités des nombres pour se faire comprendre, des plus petits aux plus grands, parce que la propagande des pouvoirs envahit aussi la pensée intime.
Aujourd’hui, nous avons besoin de décisions mondiales pour protéger la planète de nos propres désordres humains, du risque nucléaire jusqu’à la destruction des forêts primaires en passant par la destruction de la biodiversité pour des raisons de profit. Ce qui veut bien dire l’utilité d’une fédéralisation à l’échelle planétaire pour nous protéger des initiatives humaines prédatrices.
Mais nous avons un héritage intellectuel centré sur la protection par la coercition. La propagande religieuse a notamment ancré l’obéissance plus loin que la raison. A tel point que la liberté dans la famille, et dans le village, a été tellement réduite que l’expérience de nos concitoyen(ne)s indique le sens inverse de la subsidiarité : pour retrouver la liberté, il a fallu s’extraire de cet enfermement, se jeter dans l’anonymat du grand nombre sous les lumières de la ville qui permettait de retrouver un espace de jouissance avec un contrôle social desserré. Ce désir de liberté individuelle par rapport aux plus petites unité de regroupement humain a été un puissant facteur de soutien à la prolétarisation. C’est encore vrai aujourd’hui dans de nombreux pays du monde où l’individuation est à toujours à l’œuvre.
Le temps d’un renversement est peut être arrivé, par exemple on retrouve une certaine liberté aujourd’hui par les pratiques de la colocation ou du covoiturage. Si je reprends le slogan « penser global, agir local », il me semble que nous en sommes à une relative progression de la conscience globale, mais à une inhibition encore très puissante de l’action locale pour combattre l’organisation autoritaire top/down.
Écrit par : Céline Ertalif | 07/09/2015
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