24/03/2015
Faire la grève contre l'invasion de l'anglais
Quelle mouche a piqué Chimel Serres? Le philosophe français, amoureux du langage et des langues, un des rares penseurs de l’hexagone à ne pas vouer le web aux gémonies, enseignant à Stanford, pique une sacrée colère contre l’invasion de l’anglais. Non, pas contre l’anglais, langue de la communication, mais contre l’anglais utilisé à tout va dans les publicités. Que dit l’auteur de la petite Poucette dans un entretien accordé ce dimanche à la Dépêche du Midi ?
Qu’il en a «marre que la SNCF nous fasse des “smiles”». Il est tellement énervé, Chimel Serres, qu’il veut inviter les Français à faire la grève de la langue de Shakespeare, ou plutôt celle de Ronald McDonald. «Chaque fois qu’une publicité sera en anglais on n’achète pas le produit, chaque fois qu’un film ne sera pas traduit dans le titre, on ne rentrera pas dans la salle de cinéma. On ne rentre pas dans un shop, on entrera dans une boutique. Et dès lors que les publicitaires et les commerçants auront 10 % de moins de chiffre d’affaires, ne vous en faites pas, ils reviendront au Français.»
Ce n’est pas la première fois que Serres s’en prend avec virulence à l’invasion de l’anglais dans le langage de tous les jours, dans des buts purement commerciaux, et qui mettent selon lui en péril la langue française. Serres, qui parle même de danger de mort, avait donné des arguments aux opposants à l’arrivée de l’anglais à l’université, lors du débat qui a agité les intellectuels et les universitaires français au printemps 2013. Interrogé sur France Info fin mars, il avait dit:
«Une langue vivante, c'est une langue qui peut tout dire (…) une langue vivante est un iceberg. [la partie émergée] «est représentée par les mots du langage courant». [Ce qui est important] c'est la partie immergée, c’est à dire tous les langages spécialisés. Et «une langue vivante, c'est la somme de ces langues spécialisées. Il suffit qu'une langue vivante perde un ou deux de ces corpus et elle est virtuellement morte.Enseigner en anglais nous ramènerait, par disparition de ces corpus-là, à un pays colonisé dont la langue ne peut plus tout dire».
Plus politique dans la Dépêche, Serres s’en prend à la «classe dominante [qui] n’a jamais parlé la même langue que le peuple. Autrefois ils parlaient latin et nous, on parlait français. Maintenant la classe dominante parle anglais et le français est devenu la langue des pauvres ; et moi je défends la langue des pauvres. Voilà, c’est pour ça que je demande qu’on fasse la grève».
Et pour qu’on prenne bien conscience du danger, l’académicien relocalise à Toulouse ce qu’il avait déjà dit en 2010 à propos de Paris: «Il y a plus de mots anglais sur les murs de Toulouse qu’il y avait de mots allemands pendant l’occupation.» Comment on traduit Godwin déjà? Slate.fr, 20 octobre 2013
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