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28/11/2013

Le bestiaire de Blade Runner (2/2)

damelalicorne.jpgQuatre animaux apparaissent dans Blade Runner : une chouette, un serpent, une colombe, une licorne. Les deux premiers sont des postiches d'êtres originaux que même le plus fortuné membre de la société ne pourrait s'offrir. Quand Deckard demande à Rachel si la chouette est artificielle, elle lui répond que c'est l'évidence même.

Selon Hegel, la chouette, symbole de la philosophie, ne prend son envol que la nuit tombée. La philosophie, nocturne, n'intervient qu'après le labeur de la journée passée. La production de la corporation Tyrell cède alors la place à la mise en question des artefacts par eux-mêmes. Ceux-ci furent d'abord fabriqués, la question éthique de leurs droits et devoirs n'intervient que trop tard, après coup, sans qu'une correction ou modification ne soit possible. Aucun amendement ne peut venir doubler la singularité de la réalité créée.

La danseuse Zhora use d'un serpent, animal dont la lourde charge symbolique chrétienne ne nécessite pas ici d'explication tant il est prégnant dans la culture occidental. Zhora figure comme une sorte de Salomée doublée de l'attribut d'Ève. Elle danse, chassée du paradis, et souhaite la décollation de Deckard. Son serpent est marqué d'un signe d'appartenance, l'animal est un artefact, produit déposé par l'ingénieur qui l'a conçu. Les vivants machiniques sont donc autant acquisitions de leur possesseur que propriété intellectuelle de leur créateur.

La colombe qui s'échappe des mains de Roy parvenu à la fin de son existence fait partie des symboles éminemment chrétiens qu'entretien Ridley Scott dans chacun de ses films, à l'instar de la croix portée par l'anthropologue de Prometheus. Sa symbolique de la paix et de la réconciliation clôt la confrontation de Deckard et de Roy qui vient de le sauver. D'autre part, son envolée verticale est métaphore ambigüe de la possibilité d'une âme. Elle vient donc perturber la conception matérielle du corps de l'Homme-Machine. Roy n'est-il que rouages dont la mécanique cassée achève l'existence ou dispose-t-il d'un supplément volatile s'échappant du corps ? Atomisme abdéritain contre dualisme chrétien. Ridley Scott exacerbe le questionnement en le contenant dans l'ambivalence des hypothèses. Mais les colombes sont aussi d'étranges rescapés d'un monde où l'animal a disparu. Les toits des immeubles semblent encore contenir la présence d'êtres qui ne sont pas artificiels, ce qui contraste paradoxalement avec le monde dénaturé de Blade Runner. Au final, la probabilité de leur existence au sein du monde décrit dans le film a autant de crédit que celle des licornes.

Animal-Nature, Animal-Machine, la possibilité de ces deux existants implique aussi la question de l'Animal fantasmé, animal merveilleux, animal mythologique. La licorne, celle qui apparaît lors d'une courte chevauchée, celle aussi que ramasse Deckard. Croisement entre le cheval et la chèvre, l'unicorne est déjà présente chez Ridley Scott dans son film Legend. Cet animal légendaire, connu depuis l'antiquité en orient et en occident, vécut son heure de gloire durant le Moyen Âge à travers le fabuleux bestiaire des tapisseries. Sa préciosité conduisit certains hommes au commerce de sa corne (corne du narval) et à des tentatives de croisements entre animaux. Elle symbolise ainsi la création artificielle d'êtres nouveaux à partir d'êtres originaux, la mutation génétique, la procréation par croisements, l'hybridation. Sa corne torsadée est reconnue comme symbole de non-dualité, de fusion des contraires. Elle réconcilie ainsi L'Homme-Machine et l'Homme-Nature. Mais aussi, selon Jacques de Voragine, « la licorne est la figure de la mort, qui poursuit l'homme sans cesse et qui aspire à le prendre ». Deckard ramasse un origami-signe déposé par Gaff devant la porte de l'ascenseur, promesse menaçante de la traque dont Rachael et lui sont victimes. http://pourquoirien.blogspot.fr - août 2013

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