30/05/2012
Carnet Noir et Rouge. Partie 1b
Je concède qu’il est difficile de dire d’un lieu qu’il est lui-même. Il est lui-même lorsque les gens qui y vivent sont eux-mêmes. Ainsi, ils le font vivre. Me dire que je vis, c’est me sentir vivre et, par conséquent, ressentir l’étendue de ma liberté. Il y a bien des lieux en France comme en Amérique où l’on entasse des hommes dans des gigantesques immeubles. Ces lieux sont si impersonnels… Je ne mets pas en doute la bonne foi des habitants qui, justement, de par leur culture et leur volonté de vivre malgré leurs modestes conditions sociales, essaient de faire vivre leurs environs. S’ils sont immigrés, ils se sentent déracinés et n’oublient pas – ce qui est légitime et naturel – leurs origines. Le multiculturalisme – si je veux éviter de dire que c’est une idéologie – est elle-même une culture, un instrument pervers de la société occidentale du XXIème siècle. La société multiculturelle – et non pas le multiculturalisme – est un fait. Elle peut être un enrichissement lorsqu’elle n’est pas forcée. Des fusions interculturelles existent, la nature de l’existence humaine fait son travail sans qu’on ait à lui dicter, tambour battant, les vertus de l’échange et du partage. Chez l’homme philosophe, il y a, de toute manière, échange et partage. A travers l’emploi de la philosophie, il y a la volonté d’existence. Et de là, il y a existence sociale, entraînant reconnaissance à la fois de moi-même mais aussi de l’autre.
Je ne me réfère à aucune époque en particulier afin d’apprécier les marques du passé, qu’elles soient d’ordre architectural et plus largement artistique. Quand la foule est loin, je me laisse simplement bercer par l’ambiance sereine des lieux remplis d’authenticité, faisant la part belle au silence qui ressource l’esprit.
Etre réactionnaire, c’est être révolutionnaire. Etre révolutionnaire, c’est éventuellement être futuriste. Alors nous pouvons être à la fois réactionnaire et futuriste ? J’aime imaginer ce mélange étant donnée ma société idéale qui n’a clairement jamais existé.
Je peux être réactionnaire et aimer le mouvement. C’est une certaine modernité technique et linguistique qui décivilise. Etre social, autrement ma philosophie ne pourrait prendre qu’une tournure nihiliste, peu joyeuse et constructive du point de vue de l’être – c’est du moins mon avis actuel, peut-être en changerai-je –, je cède pourtant à quelques moyens de la modernité pour rester relié au monde des humains occidentaux qui est le mien. Si la postmodernité faisait pointer l’individu vers un individualisme original d’inspiration anarchique plutôt que libéral – ce dernier étant le grand gagnant de l’Occident, au début de ce vingt-et-unième siècle –, si cette postmodernité réconciliait l’homme avec l’amour des contes, de la diversité de la nature, du paysage et de l’architecture – l’homme perfectible de Rousseau savait se tourner vers l’autre culture sans renier la sienne – alors être réactionnaire, c’est bel et bien être futuriste. C’est aimer l’au-delà des nations tout en aimant la sienne, l’au-delà du paraître tout en reconnaissant une élégance dans l’hypocrisie de la marche civilisationnelle, l’au-delà de cette vie matérialiste en prenant soin de ce qu’incarne l’expression artistique et, de ce fait, l’expression humaine dans le sens de l’individu révolté donc fervent de son unicité… Parce que je sais encore être amoureux tout en étant résigné, je suis réactionnaire. Parce que je sais me révolter et aimer ma révolte, je suis futuriste. Ou bien ma réaction, constituée modestement en îlot révolutionnaire, est ma révolte. Et comme je suis futuriste, je suis déphasé avec mon époque et résigné devant le silence de ceux qui ne m’accompagnent pas dans mon rêve. Louison Chimel
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