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21/10/2011

Sur la liberté. Partie 3 sur 3

8cd-liberte-algerie.jpgLIBERTE MORALE - DOIT-ON AIMER AUTRUI ?

1 – Introduction problématique

Philosophie et spiritualités religieuses proclament : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Il y a une contradiction entre aimer, qui est plus de l’ordre du désir, et devoir, qui est plus de l’ordre de l’obligation. On peut donc se demander : « doit-on aimer autrui ? ». Montrer qu’il ne s’agit pas là d’une simple contradiction implique certaines questions : quelle est la légitimité du devoir pour s’imposer au désir ? Comment le désir peut-il s’orienter vers l’amour ? Quel amour peut dépasser le conflit entre devoir et désir ?

2 – Le Devoir moral doit prévaloir sur le désir

Pour Kant, le devoir moral s’oppose aux penchants, à des inclinations intéressées. L’amour dont parle la morale est celui de l’obligation morale. Kant, comme Les Evangiles chrétiennes, insiste sur un commandement d’amour où la difficulté est plutôt d’apprendre à respecter ce qui ne nous est pas sympathique. Pour Kant, le désir ou le sentiment ne produisent pas d’eux-mêmes l’amour moral en nous, seule la raison le fait. En effet le désir ou le sentiment sont presque toujours l’effet de déterminations biologiques, psychologiques, sociologiques. L’amour véritable et son sentiment sont le fruit de la raison, qui manifeste en nous la liberté. Plus précisément, la raison morale ou l’autonomie consiste à penser l’action en écartant les désirs personnels, les valeurs familiales, ethniques, etc. pour la penser en fonction de l’humanité et de son avenir.

3 – Le désir reste le premier moteur de la raison morale

Cependant la vision de Kant ne nous condamne-t-elle pas à un combat perpétuel entre désir et morale ? Et même si, pour lui, l’action morale rend digne du bonheur, elle ne rend personne heureux en raison de ce combat. Si la volonté rationnelle est une forme du désir, ne peut-on pas envisager une conciliation de la morale et du désir ? Trois méthodes peuvent y contribuer. La première concerne la satisfaction des désirs. Epicure, philosophe grec de l’antiquité, distingue les désirs naturels des désirs vains comme la recherche de la gloire ou de la richesse. La satisfaction de désirs naturels seule produit un plaisir qui ensuite permet de découvrir le « plaisir en repos ». Ce « plaisir en repos » est le simple bonheur d’être vivant que ne trouble plus le désir. Si l’amitié et l’amour moral du prochain sont des désirs naturels, ils ne troubleront que des plaisirs vains et non le bonheur d’être vivant. Donc, nos désirs centrés sur la recherche du bonheur d’être vivant vie manifesteront des vertus morales. La seconde méthode procède par la satisfaction fictive des désirs même les plus immoraux en évitant ainsi de faire du mal à quiconque. Selon les psychanalystes comme Dolto, cette méthode produit une liberté de modifier les contenus du désir. En apprenant à faire du désir l’objet d’une fiction, l’imagination apprend donc aussi à l’adapter au respect d’autrui. Lorsque l’imagination satisfait le désir sans conséquence destructrice, elle souligne l’importance des interdits moraux. La troisième méthode sera la philosophie de l’éthique. Celle-ci repose sur un discernement rationnel de la qualité de vie produite par nos actes. Elle est l’intelligence des deux autres méthodes. Elle est la capacité rationnelle de se donner des principes éthiques à portée universelle qui concilient morale et bonheur, c’est-à-dire une autonomie éthique et non plus seulement morale.

4 – Le paradoxe de l’amour éthique

L’éthique peut espérer cette conciliation entre le bonheur et le respect du prochain sous la forme d’une joie d’aimer son prochain comme soi-même. Mais la plupart des désirs impliquent une préférence pour une chose et donc un moindre amour pour une autre. Comment alors une préférence pour l’éthique pourrait paradoxalement libérer les désirs de toute préférence ? Toutefois si la préférence éthique signifie une extension des intérêts du « moi » jusqu’à ceux de toute l’humanité, de la vie et de la nature, elle nourrit sans le contredire un amour qui sera libre de tout jugement impliquant une préférence. Les jugements liés aux préférences du « moi », comme ceux produits par l’orgueil égoïste ou la haine de soi jugée à tort morale, seront dépassés. Une unité de l’amour de la vie, de soi-même et du prochain pourra être ressentie (tout ceci sera approfondi avec Spinoza dans la leçon suivante).

5 – Conclusion – Résumé

Le devoir moral crée les conditions d’un amour authentique. Mais le véritable amour invite aussi à apprendre à satisfaire le désir pour ne pas opposer morale et désir. Un amour éthique est inconditionnel, c’est-à-dire libre de préférence. Il repose sur une attention élargie de la conscience où le « moi », l’autre et le monde sont aimés avec la même intensité.

Citations :

Epicure : « […] il n’y a rien d’effrayant dans le fait de vivre, pour qui est authentiquement conscient qu’il n’existe rien d’effrayant non plus dans le fait de ne pas vivre. », Lettre à Ménécée.

Kant : « […] faire le bien précisément par devoir, alors qu’il n’y a pas d’inclination pour nous y pousser, et même qu’une aversion naturelle et invincible s’y oppose, c’est là un amour pratique et non pathologique », Fondements de la métaphysique des mœurs.

Serge Durand - professeur de philosophie au lycée Leonard De Vinci, académie de Versailles

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